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Muriel Cooper, Information Landscapes

Nolwenn Maudet

Lorsque Muriel Cooper présente le projet Information Landscapes22 Équipe: Muriel Cooper (dir.), Ron MacNeil, Henry Liberman, David Small. Doctorants: Suguru Ishizaki, Louis Weitzman. Étudiants du Master of Science: Robin Kullberg, Ishanta Lokuge, Earl Rennison, Lisa Strausfeld, Jeffrey Ventrella, Yin Yin Wong, Xiaoyang Yang, Rob Silvers. à la conférence TED de 1994 en Californie devant un parterre d’invités du monde de la technologie, elle est à l’apogée de sa carrière. Derrière la nouveauté manifeste de ses interfaces graphiques qui font éclater les « rectangles opaques superposés44 Nicholas Negroponte, “Design Statement on Behalf of Muriel Cooper,” Chrysler Award for Design Innovation, original documents (1994). » (fenêtres) des paradigmes traditionnels, ces « paysages d’informations » synthétisent la richesse des recherches, questionnements et expérimentations qu’elle a menés pendant plus de quarante ans.

Cooper, une femme designer à l’université

Il est essentiel de prendre en compte le contexte très particulier dans lequel furent produits ces travaux. Muriel Cooper était une designer et pédagogue hors-norme. Elle travaillait en dehors des cadres traditionnels du design graphique : l’ensemble de sa carrière s’est déroulé à l’université au Massachusetts Institute of Technology (MIT) et au sein de la maison d’édition MIT Press (à l’exception d’une courte incursion dans le domaine de la publicité). Pendant quarante-deux ans, Muriel Cooper a principalement été entourée de pionniers de l’informatique, à commencer par Nicholas Negroponte qui l’initia à son champ d’expertise 55 Janet Abrams, “Muriel Cooper’s Visible Wisdom,” I.D. Magazine, 39 (1994), 55., et pu avoir accès à des machines alors inaccessibles en dehors des universités. Elle travaillait sans comman-ditaire, sans brief, produisant des objets d’anticipation — de l’ordre de la recherche fondamentale en design graphique numérique.

Le Visual Language Workshop, un Bauhaus de l’information 66 David Reinfurt, This Stands as a Sketch for the Future: Muriel Cooper and the Visible Language Workshop (Cambridge, MA: MIT Center for Advanced Visual Studies, 2007).

En 1973, elle est chargée, à quarante-neuf ans, du premier poste de professeur en design graphique au MIT. Elle fonde alors, avec le designer et informaticien Ron MacNeil, le Visible Language Workshop, s’appuyant sur les méthodologies et aspirations du Bauhaus 88 David Reinfurt, op. cit., p. 2..

En 1985, le Visible Language Workshop devient une des équipes fondatrices du MIT Media Lab. Bien qu’elle n’ait jamais elle-même appris à programmer 99 Janet Abrams, op. cit., p. 54., l’intérêt de Cooper pour l’informatique se renforce à mesure de l’acquisition de nouvelles machines, dont les performances graphiques augmentent rapidement. Elle considère que la « métaphore du bureau » développée depuis les années 1970 par les chercheurs du Xerox PARC — toujours en vigueur aujourd’hui —, ne représente qu’un état transitoire 1111 Muriel Cooper, « Computers and Design », Design Quarterly, no 142, Minneapolis, Walker Art Center, 1989, p. 17. de l’interaction homme-machine. Elle n’aura de cesse d’explorer d’autres paradigmes pour la dépasser : ses « paysages d’informations » en sont l’exemple le plus abouti.

Information Landscapes

Information Landscapes regroupe un ensemble de projets réalisés sur près d’une décennie au Visual Language Workshop par Muriel Cooper et ses étudiants (notamment David Small, Suguru Ishizaki et Lisa Strausfeld) : Typography in Space, Financial Viewpoints, GeoSpace, Interactive Calendar, Network Multiviews, Filtering the News, Personalized Galaxies of Information. Ces « paysages d’informations » ont été réalisés grâce à la capacité de calcul du Silicon Graphics Reality Engine, un ordinateur acheté par le MIT Media Lab pour 250 000 $ 1313 David Reinfurt, Robert Wiesenberger, op. cit.. Leur consultation sur un ordinateur contemporain étant aujourd’hui impossible, il m’a donc fallu, pour analyser ce travail, me contenter de sources secondaires et partielles, dont de très rares entretiens donnés par Muriel Cooper à la fin de sa vie. La seule trace accessible des « paysages d’informations » est un court film 1414 Voir : http://b-o.fr/info-land, réalisé en hommage après sa mort. Cette difficulté à conserver les logiciels montre de nouveau, s’il en était besoin, la fragilité des travaux des pionniers de l’informatique et peut en partie expliquer le peu d’écho qu’ils ont parfois eu.

Le titre même de Information Landscapes est révélateur des ambitions de Cooper. Elle a fait sortir le design graphique du plan imprimé pour l’emmener dans un espace, dans une infinité de paysages en constante évolution. Le choix du terme « information » est également important, car il fait abstraction de la nature des différents médias (texte, image, son, etc.), pour se focaliser sur leur transversalité.

L’espace, le temps et les points de vue

Le design graphique est né avec le plan imprimé. Il s’est construit autour, ou plutôt avec cette contrainte. L’informatique fait éclater la frontière de la page. Certes, l’écran est une fenêtre délimitée, mais avec Muriel Cooper il devient un élément dynamique, malléable, comme notre propre champ de vision. Le théâtre et la performance 1515 Muriel Cooper, « Computers and Design », op. cit., p. 14. deviendront pour elle les arts permettant de penser le design graphique à l’ère de l’informatique. Ces inspirations, provenant notamment des happenings du Bauhaus, sont une des clés pour comprendre le travail et la pensée de Muriel Cooper. À travers eux se révèlent trois caractéristiques des « paysages d’information » : un espace multimédia tridimensionnel, une temporalité non linéaire et non unique, et le rôle actif du lecteur.

De la page à l’espace tridimensionnel

L’un des premiers partis pris de Muriel Cooper est de s’affranchir des barrières entre les différents médias et, au contraire, de les mélanger. Cette position est novatrice à une époque où chaque médium possède son canal de diffusion propre : le livre, la radio, la télévision, etc. Pour Muriel Cooper, la mise en relation de ces différents médias ne peut se faire que dans un espace tridimensionnel 1616 Ibid., p. 14.. Basculer dans cet espace nouveau est un changement de paradigme qui met fin au point de vue unique. En effet, sur un plan en deux dimensions, comme une page par exemple, le point de vue du lecteur n’a que très peu d’influence. Deux spectateurs placés à deux endroits différents auront accès au même contenu. Mais, dans un espace en trois dimensions comme un paysage, le choix du point de vue devient crucial. Le designer graphique ne contrôle plus l’infinité de compositions visuelles susceptibles d’apparaître à l’œil du lecteur. Ainsi, dans le sous-projet Typography in Space ), le plan devient l’élément majeur d’organisation de l’information, permettant de combiner les propriétés d’un espace en deux dimensions, tout en conservant celles de l’espace tridimensionnel 1717 David Small, Suguru Ishizaki, Muriel Cooper, « Typographic space », Conference Companion on Human Factors in Computing Systems, New York, ACM, 1994, pp. 437-438.. Chaque plan correspond à un paragraphe de texte. Leur agencement spatial vient créer des relations entre les différentes sections, opérant alors des continuités ou des discontinuités du propos, mettant ainsi en scène le travail d’édition.

Aujourd’hui, les journaux en ligne conservent une mise en page majoritairement inspirée de l’imprimé et rares sont les articles qui osent combiner différents médias au-delà des rapports image-texte conventionnels. Un des rares contre-exemples dans ce champ est l’article du Guardian sur les révélations d’Edward Snowden 1818 Ewen Macaskill, Gabriel Dance, « NSA files Decoded: What the Revelations Mean for You », The Guardian, 3 novembre 2013, [En ligne], http://b-o.fr/nsa qui combine textes, vidéos, documents sources et visualisations de données. Cependant, contrairement à l’approche de Cooper tous ces médias sont agencés sur un volumen vertical, qui ne propose donc qu’un point de vue unique.

La navigation temporelle et le corps humain

L’exploration de cette nouvelle temporalité, non linéaire, ne dépend pas du designer : elle est contrôlée par le lecteur à travers sa navigation. Comme un happening, qui ne pourra jamais être rejoué à l’identique, Muriel Cooper s’éloigne de la représentation fixe de l’information afin de privilégier l’expérience, en explorant une nouvelle relation entre lisibilité et choix du point de vue. Pour Lisa Strausfeld, qui a réalisé le sous-projet Financial Viewpoints, ce type de travail repose sur la métaphore « comprendre est voir ». Elle met également l’accent sur l’importance de la posture physique dans les mécanismes de compréhension. Ses analyses se réfèrent aux concepts issus de psychologie cognitive d’embodiment 1919 Lisa Strausfeld, « Financial Viewpoints: Using Point of View to Enable the Understanding of Information », Conference Companion on Human Factors in Computing Systems, New York, ACM, 1995, pp. 208-209., à savoir la manière dont on utilise son corps pour appréhender les informations dans le monde, et de disembodiment, qui désigne le fait d’aller au-delà du corps physique pour explorer de nouvelles possibilités. Cet embodiment prend plusieurs formes dans les « paysages d’informations ». Dans Financial Viewpoints, Muriel Cooper utilise la profondeur de champ et différents niveaux d’opacité pour faire cohabiter plusieurs niveaux d’informations tout en les hiérarchisant contextuellement et temporairement. Les limites du corps physique sont dépassées : le lecteur vole littéralement à travers les différentes strates d’informations, en zoomant à l’infini.

Un nouveau rôle pour le lecteur

L’expérience de lecture d’un livre imprimé tend à être conditionnée par la forme proposée par le designer. Dans un espace en trois dimensions, Muriel Copper aurait pu adopter une démarche similaire en « scriptant » les déplacements, à la manière d’un film. Son choix de laisser la navigation « libre » tend à placer le designer et le lecteur sur un pied d’égalité. Le designer graphique devient celui qui propose « des opportunités, des chemins et des modalités pour un utilisateur plus indépendant », et les lecteurs, se voyant renommés « utilisateurs », deviennent « capables d’acquérir, d’explorer et de collecter l’information dans leurs propres termes 2020 Markus Weisbeck, « This New World », Frieze Magazine, no 161, Londres, Frieze, 12 mars 2014. ». À travers ce positionnement, Muriel Cooper affirme qu’il n’y a pas une seule manière d’interpréter l’information. Le travail de communication se doit désormais d’intégrer cette multiplicité d’approches dans sa conception même.

Dans le sous-projet GeoSpace 2121 Ishantha Lokuge, Suguru Ishizaki, « GeoSpace: an Interactive Visualization System for Exploring Complex Information Spaces », Proceedings of the SIGCHI Conference on Human Factors in Computing Systems, New York, ACM, 1995, pp. 409-414., l’utilisateur devient flâneur en construisant un espace navigable à la souris. Il peut adapter son allure à ses intentions, se diriger au pas de course vers l’information qu’il recherche, ou explorer le paysage en détail. À l’inverse des interactions binaires des boutons ou des menus, Muriel Cooper propose un dialogue continu avec le contenu, facilitant la progressivité de la compréhension. Aujourd’hui, le simple scroll est devenu la principale interaction de navigation sur le Web, en témoigne la récente tendance des effets de défilement en « parallaxe » (plans décalés). Il est toutefois intéressant de remarquer que celui-ci, de par son unidimensionnalité, ne permet aucun autre choix actif que celui de la temporalité de la lecture.

Interactive Calendar, présente, quant à lui, une interface basée sur des formes dessinées en direct par l’utilisateur : le tracé d’une flèche provoque le déplacement d’un objet, le dessin d’une croix pour supprimer un élément, etc. Ces interactions dynamiques laissent entrevoir les possibilités de nouvelles formes d’interfaces, basées sur les actions intuitives de l’utilisateur. Ces principes sont également développés par l’ingénieur Jeff Hawkins dans son programme Graffiti 2222 Bill Moggridge, Designing Interactions, Cambridge, MIT Press, 2007, p. 206. (1993) dédié à la reconnaissance de formes manuscrites tracées sur l’écran d’un terminal mobile.

Séparer le contenu de la forme

Muriel Cooper comprend très tôt que l’informatique va concentrer les différents métiers de la chaîne graphique et s’approprie cette idée pour redéfinir le rôle des designers graphiques. Avec Nicholas Negroponte, elle crée le terme de « copie souple2323 Ellen Lupton, « Fluid Mechanics: Typography Now », dans : Collectif, Design Culture Now: National Design Triennial, New York, Princeton Architectural Press, Cooper-Hewitt, National Design Museum, 2000. » (soft copy) dès 1978, par opposition à la « copie fixe » (hard copy). Nouvel objet de l’ère informatique, le texte « souple » est séparé de toute représentation typographique, introduisant ainsi la notion de « flux » de texte. Il peut être représenté d’une infinité de manières, au gré des copier-coller dans de nouveaux contextes, de l’email au traitement de texte.

C’est une idée fondamentale, que l’on retrouve par exemple aujourd’hui dans les pages Web, puisqu’elles sont composées à partir de deux langages distincts : les données structurées (HTML) et l’ensemble de règles qui vont venir mettre en forme ces données (CSS). Pourtant cette distinction reste toujours aujourd’hui très statique : à un fichier HTML correspond un fichier CSS unique, là où Cooper explorait sans cesse la multiplicité des représentations d’une même information. Le rôle des designers devient d’autant plus crucial : une donnée ne devient une information intelligible qu’une fois passée au travers du filtre du design 2424 Matthew Shen Goodman, « This Stands as a Sketch for the Future: Muriel Cooper’s Messages and Means », Art In America, 2014, [En ligne], http://b-o.fr/itw-cooper. Muriel Cooper a expérimenté la richesse de ces principes à travers le design du livre Bauhaus 2525 Hans Wingler, Bauhaus, Cambridge, MIT Press, 1969. en mettant en forme un même contenu pour quatre supports différents : livre, affiche, film et pile de documents, mettant ainsi en lumière les possibles interprétations d’un même contenu. Elle se servait du film, par exemple, pour « pour démontrer le flux entre les pages et son approche cinématographique de l’imprimé 2626 Matthew Shen Goodman, op. cit. ».

Dans le sous-projet Network Multiviews, les personnes connectées au réseau sont représentées de deux manières : sous forme de portraits photographiques disposés en cercle, ou identifiés par la localisation de leur bureau. De la manière analogue, dans Financial Viewpoints, une même donnée peut être représentée à travers un chiffre, un diagramme en barre ou une courbe. Chacune de ses représentations informe et met en perspective les données. La multiplication des mises en forme augmente ainsi la compréhension de l’information.

Filtres, systèmes et processus

Un autre bouleversement induit par l’informatique est l’avènement d’une ère de l’information en flux continu. Muriel Cooper anticipe qu’il deviendra rapidement impossible pour les designers de mettre en forme manuellement le contenu auquel les lecteurs auront accès. Les designers doivent donc apprendre à concevoir des processus et des structures adaptatives appliquées en temps réel à des flux de données.

« Dans nos environnements électroniques, le volume d’informations en temps réel dépassera notre capacité à le gérer. L’utilisation du design graphique comme filtre pour cette complexité d’informations ; comme une façon de la rendre à la fois signifiante et expressive — est le principal défi de notre atelier de recherche 2828 Ibid., p. 23.. »

Pour mettre en forme ces flux d’informations, Muriel Cooper s’intéresse à la notion de « principe » graphique, notamment présente dans les chartes graphiques des identités visuelles, fonctionnant comme un « paradigme d’instructions spatiales et relationnelles exprimées graphiquement, qui hiérarchise les informations pour le lecteur 2929 Ibid., p. 26. ». Elle puise son inspiration dans l’ouvrage Designigning Programmes (1968) de l’artiste et designer Karl Gerstner, qui explore le design graphique sous l’angle du « système », principalement au travers de l’utilisation de la grille typographique. Aujourd’hui, Conditional design, collectif néerlandais composé de Luna Maurer, Edo Paulus, Jonathan Puckey et Roel Wouters, reprend les mêmes aspirations à la formalisation du processus et les applique dans le champ de la conception graphique.

Dans Filtering the News), Muriel Cooper propose au lecteur de naviguer dans un ensemble d’articles de presse à travers un des quatre angles de vue qui lui sont proposés : le titre, la source, la longueur de l’article et l’agence de presse. Puisqu’il est impossible de connaître les contenus à l’avance, le designer doit concevoir son système en tenant compte des informations potentielles. Des structures flexibles doivent être créées afin de conserver le plus large champ d’interprétation possible, laissant au lecteur le soin de choisir la meilleure entrée.

Explorer les nouvelles techniques

Tout au long de sa carrière, Muriel Cooper, en tant que praticienne et pédagogue, a placé la relation avec la technique au cœur de ses expérimentations. Au moment où elle commence à explorer le design graphique avec l’informatique, il n’existe pas de logiciels de « création ». Ses étudiants sont ainsi amenés à travailler directement avec la programmation. Pour elle, il est nécessaire que les designers participent à l’élaboration de leur médium et qu’ils en explorent les différentes potentialités. Des étudiants en intelligence artificielle travaillaient en collaboration avec des designers graphiques pour établir des relations entre le monde « à portée de main » (hands-on) des designers et le monde « symbolique » des programmeurs 3030 Muriel Cooper, « Computers and Design », op. cit., p. 22.. Muriel Cooper s’est ainsi emparée de la problématique de l’automatisation de la mise en page, qu’elle voyait non pas comme un substitut du designer, mais comme de nouveaux possibles pour les designers et les lecteurs.

Dans le sous-projet Personalized Galaxies of information ), c’est un algorithme qui extrait, trie et organise des mots-clés issus d’articles de presse . Le programme permet au lecteur de naviguer à travers les mots clés générés dynamiquement, sur plusieurs niveaux de lecture. Ici, le designer crée l’interface qui donne sens et contextualise le travail de l’algorithme. Muriel Cooper envisageait d’ailleurs un dialogue entre l’algorithme et le lecteur, où ce dernier montrerait au système comment filtrer l’information et l’organiser 3232 Muriel Cooper, « Computers and Design », op. cit., p. 17..

Aujourd’hui, si les algorithmes sont envisagés pour concevoir des mises en page, c’est bien souvent pour remplacer les designers, c’est-à-dire pour programmer les possibles à leur place. On pourra prendre comme exemple The Grid 3333 http://thegrid.io et son « intelligence artificielle » qui se propose d’automatiquement cadrer les photos sur le visage, une décision forte qui devient alors un élément « par défaut » plutôt qu’un acte de design. Cooper montrait déjà qu’il est crucial que les designers s’approprient les algorithmes et en fassent des objets compréhensibles et tangibles qu’ils peuvent à la fois créer, sinon paramétrer, du moins utiliser et contrôler dans le cadre de leur production.

Du Visual Language Workshop à Processing

Les problématiques que Muriel Cooper a ouvertes avec ses « paysages d’informations » sont, pour la plupart, tombées dans l’oubli pendant près de vingt ans3434 Catherine de Smet, Pour une critique du design graphique, Paris, Éditions B42, 2012, p. 18.. Si l’exposition Messages and Means de 2014 à la Arthur Ross Architecture Gallery a permis de mettre en valeur ses travaux, il est intéressant de se demander pourquoi les principes novateurs qu’elle a explorés ne sont aujourd’hui pas plus exploités. Une hypothèse est que les « paysages d’informations » sont complexes à caractériser et donc difficiles à s’approprier. En cela, la démarche pionnière de Cooper est similaire à celle du logiciel Hypercard , développé par Apple à la fin des années 1980 et qui donnait à chacun la possibilité de créer des contenus interactifs extrêmement variés. Trop hors-norme par rapport aux paradigmes existant dans les logiciels grand public, Hypercard a finalement été abandonné par Apple en 1994.

Pourtant, de par leur caractère hybride, ces deux projets se retrouvent aujourd’hui inégalés sur de nombreux aspects. La force paralysante des paradigmes d’interfacesa probablement empêché des explorations similaires. Pour les « paysages d’informations », c’est, en particulier, la croyance tenace que les interfaces en trois dimensions ne sont pas désirables pour les logiciels et autres applications dites productives. Ainsi, aujourd’hui, les projets qui ressemblent le plus aux travaux de Cooper sont peut-être à aller chercher du côté du jeu vidéo, domaine qui propose des interfaces diversifiées destinées à l’affichage de données complexes . Du côté des « interfaces sérieuses », vingt ans après la présentation publique de Information Landscapes, nous sommes toujours bel et bien dans le monde des plans opaques et des métaphores physiques du papier et du bureau. Si la mise en forme de l’information fait aujourd’hui la part belle aux interfaces animées, l’utilisateur reste majoritairement cantonné à un rôle passif, à qui les données sont présentées de manière linéaire et unilatérale.

Finalement, c’est le souhait de Muriel Cooper que les designers travaillent avec la programmation informatique qui eut un véritable écho. Cette approche fut poursuivie par son étudiant John Maeda. Informaticien, artiste et designer, il lui succéda au MIT Media Lab. Ce sont ensuite les designers Casey Raes et Benjamin Frey, étudiants de John Maeda, qui conçurent Processing (2002), dont la présentation en ligne rend directement hommage aux travaux de Muriel Cooper.