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Éditorial

Après avoir exploré les notions d’outil (2017), puis de tri et l’affichage des données (2018), Back Office propose, pour ce troisième numéro, d’examiner les interfaces de lecture et d’écriture à l’écran. Bien que les matrices de pixels rétroéclairées peuplent notre quotidien, il n’existe étrangement que peu de textes traitant ; depuis les pratiques de design ; de leurs enjeux utilitaires, cognitifs, sémantiques et sensibles. Analysées par le théoricien des médias Vilém Flusser dès les années 1970 (dont nous reproduisons dans ce numéro un texte inédit rédigé en français), les technologies d’encodage alphanumériques engagent pourtant, depuis déjà quelques dizaines d’années, de profonds bouleversements sociopolitiques dont nous n’avons pas fini de prendre la mesure, en témoignent les récentes controverses sur le rôle à donner aux écrans dans l’apprentissage de l’écrit.

En premier lieu, c’est bien le langage qui est atteint. Cette faculté humaine à découper et à catégoriser le monde et sans laquelle aucune communication n’est possible, se voit ainsi redoublée de couches techniques, celles des programmes numériques (« langages formels »), dont la complexité menace la capacité à lire leur fonctionnement, et donc leurs conséquences. Écrire l’écran est ainsi autant affaire de structuration des codes sources (de compréhension des techniques) que de négociation avec leur irruption dans le visible. Pressenti par le philosophe Jacques Derrida dès les années 1990, le « retrait du papier » en tant que support d’inscription primaire ouvre la voie à des formes d’expression relevant d’une « graphosphère » élargie, que les normes et les figures du papier (la ligne, la feuille, la page, le paragraphe, les marges, etc.) continuent pourtant de dominer.

L’interface, cette fine membrane dont la conception est habituellement dévolue aux designers, devient alors la cristallisation de ces paradoxes. Comment écrire de façon intelligible (pour) l’écran ? Que devient le design graphique ; cette expertise de la formalisation du visible ; quand il opère comme une traduction entre « écrits d’écrans » et lecture de ces transformations ? Dans ce passage d’époques techniques, la tâche des designers serait-elle d’accompagner cette superposition, ou d’œuvrer à « décoller du papier » ?