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Espaces hybridés

Kévin Bray

À mi-chemin entre art et design graphique, le travail de Kévin Bray joue de transpositions de techniques issues du cinéma, de l’hybridation des médiums et de références historiques singulières. Ancien designer graphique, l’artiste français, aujourd’hui installé à Amsterdam, revient sur ses méthodes de travail et sur le détournement de logiciels lui permettant d’associer différents registres de représentation entre plans et volumes.

J’ai vite su que je voulais étudier le design graphique. J’ai fait un BTS en graphisme imprimé à Roubaix et j’étais assez proche d’un des profs qui m’avait proposé de suivre des cours de multimédia en parallèle. J’avais donc des bases en CSS, HTML et JavaScript. À l’époque, Flash (1996) existait encore et c’était assez excitant parce qu’il s’agissait d’un logiciel dynamique et facile d’accès. Je pense que c’était une très bonne porte d’entrée pour les graphistes : il y avait à la fois une logique de dessin vectoriel, d’animation par images clefs, et de la programmation qui pouvait être introduite progressivement. Je retombe aujourd’hui sur les mêmes logiques lorsque je travaille avec des textures ou des comportements procéduraux. J’ai ensuite intégré le DSAA de Nevers. À l’époque, j’étais tellement intéressé par les technologies que j’avais la sensation de pouvoir copier tout le monde : je pouvais savoir comment une image était faite et j’étais capable de la refaire. Je n’avais aucune difficulté à copier tel ou tel style, presque comme une intelligence artificielle ! Je passais d’un univers visuel à un autre sans me reconnaître.

C’est à ce moment-là que j’ai rencontré le graphiste et enseignant Thierry Chancogne, qui m’a encouragé à adopter des postures radicales et m’a aidé à mettre en place des articulations conceptuelles dans mon travail. Cela m’a permis de savoir où j’allais, de trouver des formes qui étaient les miennes, sans forcément être des formes qui m’intéressaient visuellement ou qui rentraient dans mon formatage esthétique. J’ai aussi découvert qu’il était possible d’être un graphiste-artiste, c’est-à-dire sans que la commande soit nécessaire pour produire. Cette position m’a beaucoup marqué ! Ensuite, j’ai fait un master au Sandberg Instituut, à Amsterdam. Les questions étaient plus politiques là-bas, et il y avait en même temps un grand intérêt pour la technique. Pour moi, les outils sont des formes d’extension du langage : en connaître beaucoup, c’est peut-être la manière la plus simple de produire de meilleures images.

J’ai eu l’impression d’avoir été tellement radical dans mes études que je ne voyais absolument pas comment je pouvais intéresser un commanditaire. Je pouvais faire des livres qui étaient complètement impossibles à créer en série. J’ai eu besoin de repousser les limites des formats existants pour savoir où j’allais. Je trouvais plus difficile de questionner les médiums historiques que les nouveaux supports. C’est pour cette raison que j’ai commencé à faire des clips vidéo, même si c’est un support limité dans le temps et qui répond à une application commerciale précise et très professionnelle : personne ne sait ce qu’est un bon clip ! Le format vidéo autorise beaucoup d’expérimentations ; j’ai parfois réalisé des clips que je trouvais vraiment étranges, limite déroutants, et qui ont été acceptés par de gros clients